La réalisatrice du film “L’autre connexion” nous raconte son expérience de réalisation vécu comme un acte de transition.

Kamea Meah: Parle-nous de ton parcours, quel cheminement avant de prendre ta caméra ?

Cécile Faulhaber: J’ai vécu et travaillé toute ma vie à Paris. Je gagnais très bien ma vie et j’avais une bonne position sociale dans des start-up à la pointe de l’innovation. Mais je n’étais pas heureuse. À 35 ans, une voiture dont j’étais la passagère heurta un motard, mort sur le coup. Moi-même motarde, cette expérience traumatique me fit prendre conscience que la vie peut s’arrêter comme ça, en un instant. Et qu’il était urgent que je vive la mienne. Cela me donna la force de quitter cette vie confortable qui ne l’était en fait pas tant. Sauf que je n’avais pas la moindre idée de ce que je voulais faire, ni de qui j’étais.
Lors d’une promenade en forêt de Meudon, un peu perdue, je lève les yeux vers un arbre et je me dis « je ne sais rien de toi, tu as tout à m’apprendre ».

Une semaine plus tard j’étais sur le chemin de Saint-Jacques de Compostelle, en plein mois de novembre, avec l’espoir (l’intuition ?) que la nature allait m’aider à appréhender ce vide existentiel, cette solitude que j’ai toujours sentie en moi. C’est en effet ce qui s’est passé. Seule dans la nature, j’y ai vécu mes premières expériences de connexion, avec la nature, avec les autres, avec moi. En fait j’ai découvert que je ne suis pas seule : j’y ai vécu de nombreuses synchronicités, les hasards qui font sens, la pensée créatrice, la paix, la joie profonde de me sentir reliée. Je suis revenue transformée de cette expérience et profondément écolo. De retour à Paris, forte de ce bonheur authentique enfin trouvé, j’étais joie, sourire, amour, je voulais prendre chaque être humain dans mes bras… Je prends le métro : ce n’était pas du tout réciproque ! J’étais à nouveau malheureuse ! Ma solitude reprit d’autant plus : je n’avais personne avec qui partager ces expériences de connexion. Au contraire, je voyais bien qu’on s’interrogeait sur mon état mental ! Alors je suis partie en quête d’un mode de vie plus juste, plus proche de la nature, plus communautaire. J’ai vécu à la campagne, monté une épicerie collective de producteurs, travaillé avec des artistes sur l’île de Sein… mais il me manquait toujours une dimension. Par exemple dans la nature je me sens apaisée, mais il me manque la diversité humaine et dans la grande ville, c’est le contraire !

Après quelques années à chercher sans trouver cette vision globale, les synchronicités m’amènent en Colombie Britannique, sur une petite île à quelques heures de bateau de la ville de Vancouver : Salt Spring. Là, je rencontre un français (tiens !?), Jean-Claude Catry qui me propose de venir passer une journée dans son école, la wolfkids school, qu’il a créée avec sa femme Ingrid Bauer et des parents. Là j’y vois des enfants en cercle qui expriment leur gratitude, passent du temps, seuls, assis dans la nature, observant, écoutant, ressentant. Si calmes. Et à la fois si pleins de vie dans leurs jeux. Si matures, surtout. Ma curiosité est piquée. L’émotion que je ressens m’alerte : j’ai l’intuition de quelque chose….

De retour en France, je décide d’acheter une petite caméra et de repartir au Canada, cette fois pour plusieurs mois, avec l’intention d’en apprendre plus sur ce qui se passe sur cette île. J’y découvre bien plus qu’une école. Une communauté. Une culture. Plus je suis immergée dans cette culture, et plus je retrouve les sensations, les miracles de la connexion à la nature, aux autres et à moi que j’avais vécu lors de mon périple sur le chemin de Compostelle. Pour la première fois, je trouve toutes les réponses à mes questions. Pour la première fois, je sens l’aboutissement de ma quête… Je fais mes premières images, car je n’ai jamais vraiment appris, j’interviewe des enfants, des parents, des mentors. De retour en France, poussée par quelque chose de plus fort que moi, j’en fais un film : « L’Autre Connexion, une école dans la nature sauvage ». Je sentais que je tenais quelque chose de précieux, je voulais le partager. Ce film rencontre tout de suite un magnifique accueil auprès du public et me voilà en tournée dans toute la France.

Kamea Meah Fims: On peut lire sur ton site Troisième Option « Un jour la vie m’a mise face à la mort. Comme une révélation j’ai réalisé que la vie est courte ». Comment peut-on changer sans un basculement/évènement fort dans sa vie ?`

Cécile Faulhaber: J’ai parlé de mon accident de voiture qui, je le comprends aujourd’hui, a fait office pour moi de rite de passage, à 35 ans ! Il est notable de remarquer que beaucoup de personnes effectuent un changement dans leur vie après un accident, une maladie, un burn-out, une dépression… la rencontre avec la mort fait prendre conscience de la valeur de la vie…
Dans toutes les cultures qui vivent proches de la nature, pour marquer les passages à différents âges de la vie, les enfants font des rites de passage. Dans les cultures traditionnelles, le rite de passage consiste à quitter le village, aller vers l’inconnu. Pour le rite des adolescents, seuls dans la nature sauvage pendant plusieurs jours, parmi les prédateurs, la possibilité de mourir est réelle… en quittant le confort de sa communauté et la sécurité qu’elle apporte, le jeune peut alors mieux ressentir la chaleur de sa communauté, sa nécessité, la valeur de ce qu’elle lui a enseigné. Car c’est cet enseignement qui lui aura permis de survivre, d’affronter l’inconnu, d’affronter ses peurs.
L’adolescent de notre société occidentale, qui a tant besoin d’appartenance au groupe ne vit pas de rite de passage. Il commence à cet âge à rentrer en contact avec sa vision, il a donc un besoin particulièrement fort de soutien et de compréhension mais les adultes ne l’accueille pas ainsi : il doit se conformer à ce que la société attend de lui (ce qui n’a souvent rien à voir avec sa passion) ! Logiquement il rejette le monde des adultes. Les adolescents vont alors tenter de s’initier eux-mêmes à travers des expériences extrêmes qui les amènent proches de la mort (prendre des drogues, conduire à grande vitesse, faire des sports extrêmes…). Ils oscillent entre la dépression et la colère. L’adolescence n’est pas « l’âge difficile », c’est au contraire l’âge où l’on a besoin de trouver notre don unique grâce au soutien de la communauté. C’est l’absence de la communauté, de son soutien et de rites de passage qui rend l’âge difficile ! C’est aussi pour cela que nous restons adolescent jusqu’à ce que la vie nous amène (pour certains) un événement fort qui provoquera une bascule. Pour ma part, je peux dire que j’ai commencé à entrer dans l’âge adulte à partir de 35 ans seulement ! De plus, à m’initier toute seule, cela a pris beaucoup plus de temps qui si j’avais vécu enfant mes rites de passage au sein d’une communauté !

Vivre l’expérience d’un rite de passage (ne serait-ce que passer une nuit dans la nature, même sans prédateurs !) nous fait affronter nos peurs, nous fait grandir, en confiance et en maturité. Elle nous fait aussi rentrer en contact avec notre vulnérabilitéNous revenons plus humbles et plus conscients de notre place au sein de l’ensemble du vivant. Plus conscient du rôle que nous avons à jouer parmi celui-ci et au sein de notre communauté. Un rite de passage apprend la place de service.

Kamea Meah Films : Cabaret ? Théâtre ? Woman show ? Un parcours artistique, raconte-nous ?

Cécile Faulhaber: Cette quête d’une vision globale : nature, communauté, connexion à soi a toujours existé en moi, au moins inconsciemment. Elle est devenue particulièrement consciente après ce rite de passage de mes 35 ans et les années de recherche qui ont suivies. Pendant ce temps là, je suis certes partie vivre à la campagne pour me rapprocher de la nature, mais comme au bout d’un moment la diversité humaine me manquait, je rentrais souvent à Paris, jusqu’à m’y réinstaller quelque temps afin d’y pratiquer le cabaret burlesque. Je sentais que mon passé de business woman et de vie en entreprise avait plus utilisé mon côté masculin (objectifs, efficacité, compétition…), déjà bien présent chez moi, que mon côté féminin. Je pressentais que pour atteindre l’équilibre intérieur et donc cette paix si recherchée, il me fallait explorer plus à fond ma part féminine. Quoi de plus « extrême » que le cabaret burlesque pour ce faire !?
Le cabaret burlesque m’a en effet permis d’explorer ma féminité de façon tonitruante ! j’étais de plus dans une école qui montait des chorégraphies engagées, donc ça m’allait très bien. J’ai appris à m’habiller, à maîtriser les expressions corporelles en fonction de ce que je voulais faire passer comme intention, j’ai découvert l’aisance et la confiance qui se développent dans cette exploration. J’avais déjà travaillé un sketch de one woman show pour transmettre mes vues politiques et écologiques, j’en ai profité pour faire du one woman show burlesque éco-féministe ! burlesque (c’est à dire humour), femme et nature vont bien ensemble ! Les retours de spectateurs suite à ces sketchs éco-féministes m’ont conforté dans l’idée que c’était un bon moyen pour inspirer, semer une graine..
J’avais l’intention de continuer dans cette voie, mais il m’a semblé que ce serait encore plus fort de transmettre ce qui se vit à l’école de Salt Spring par des images, en faisant s’exprimer les principaux acteurs de cette école.

Kamea Meah Films: As-tu investigué sur des modèles d’école similaire en France ? Si oui, peux-tu nous en citer ?

Cécile Faulhaber: Pendant la tournée du film en France, j’espérais bien rencontrer des écoles ou des éducateurs qui se rapprochaient de ce qui se fait dans cette école au Canada. J’ai d’abord rencontré Philippe Nicolas, qui, au sein de l’éducation nationale, à Genevilliers, amène, depuis de nombreuses années déjà, la nature dans sa classe. J’ai rencontré Isabelle Peloux, qui dans son école du Colibris dans la Drôme apprend la coopération aux enfants dans une ferme en pleine nature. Muriel Fifils et son école Caminando, basée sur les indiens Kogis, est celle qui se rapproche peut être le plus de l’école de Salt Spring, car basée sur les cultures indigènes. Muriel s’est exclamée en voyant le film : « je ne savais pas que nous avions des cousins au Canada ! ». J’ai aussi fait la connaissance des Forest School, dont le mouvement est en plein développement en France. La pédagogie par la nature de ce mouvement est très proche.
Plus généralement, le nombre d’écoles qui emmènent régulièrement les enfants dans la nature est en pleine expansion, y compris dans l’éducation nationale.
Je connais des instituteurs de l’éducation nationale qui juste après avoir vu le film ont emmené leurs élèves en forêt pour leur faire pratiquer les routines de connexion! Je reçois très souvent des messages d’éducateurs témoignant des changements qu’ils voient chez leurs élèves : plus de coopération et d’entraide, plus d’empathie. Cela m’emplit d’espoir, pour la nature, le vivant, les générations futures.

Kamea Meah Films: Demain, d’autre projet vidéo? quelle suite à cette expérience ?

Cécile Faulhaber: Dans un futur proche, je compte bien continuer dans cette voie de partager et semer des graines. Certainement à travers un film. L’histoire de l’Autre Connexion m’y encourage. Comme je l’ai dit plus haut, cabaret, femme et nature vont bien ensemble. Dans cette ère où l’on ne peut plus nier que l’équilibre du monde est rompu, que l’humain a détruit cette nature même qui le soutient et le fait vivre, je pense que, comme je l’ai fait pour atteindre un certain équilibre intérieur et ainsi agir de façon juste, il est nécessaire d’équilibrer le masculin et le féminin. Pour cela nous avons besoin d’entendre, beaucoup plus, la voix des femmes. Nous avons besoin de faire agir notre féminin. Homme et femme confondus. Pour moi c’est plus qu’un besoin, c’est un nécessaire, un indispensable à notre survie, à notre évolution.

Kamea Meah Films: Un conseil, un mot à donner aux parents et aux enfants d’aujourd’hui ?

Cécile Faulhaber: Mes conseils, à tous, enfants, adultes, parents :
« allez dans la nature, marchez, jouez, criez, observez, écoutez, ressentez…partagez vos histoires avec vos proches ou vos amis, créez ainsi votre communauté, reliez vous à vos ancêtres. Vous découvrirez ainsi qui vous êtes, quels sont vos dons et vous n’aurez plus qu’un but : les offrir au monde. Ça tombe bien, le monde en a besoin, et vous aussi ! ».